INTERROGATOIRE N°2 - Leo Whitelaw

En se réveillant ce matin-là, il était presque convaincu que les événements récents n'avaient été rien de plus qu'un horrible cauchemar, à la fois si réel et si inconcevable. La réalité avait toutefois vite fait de le rattraper. Je ferai de mon mieux pour vous aider. Bien sûr. Pour la plupart des convives, Carmen n'avait été qu'une domestique parmi tant d'autres. Le drame prenait une toute autre dimension pour les membres de la famille Whitelaw, elle avait été une figure constante parmi leurs rangs. La tragédie les touchaient plus particulièrement. Lui peut-être même un peu plus, Carmen n'était pas une inconnue, elle avait été une amie. Il ne s'était toujours pas remis du choc. Plus que quiconque, il voulait que le coupable soit retrouvé et puni pour son crime.

Il se souvenait encore clairement du moment où elle avait commencé à travailler pour eux, la jeune et jolie et Carmen. Une jeune femme sulfureuse, qui faisait tourner toutes les têtes. Il se souvenait également d'un certain pari, lancé par Henry Coleman.   Amis. Nous étions amis. Elle travaillait pour ma famille depuis des années, j'ai appris à la connaître et à l'apprécier. Ils étaient amis. Il avait essayé de la draguer, il y a bien longtemps, mis au défi de la mettre dans son lit. Bon joueur, il avait essayé de la faire flancher à coups de remarques plus ou moins subtiles. Il n'était à peine plus qu'un enfant et elle était plus âgée, attirante et inaccessible. Elle lui a cependant vite fait comprendre qu'elle n'était pas intéressée. Elle était là pour gagner sa vie et elle n'avait certainement pas de temps à perdre à batifoler avec le fils de son patron. Et ça s'était arrêté là. Cela ne les avaient pas empêchés de se lier d'amitié, Carmen n'a jamais manqué une seule occasion de lui rappeler à quels points ses avances avaient été hilarantes. Ces souvenirs étaient amers. Ils ne pourraient plus jamais plaisanter de la sorte.

Il était dans un état de tristesse profonde avant que les enquêteurs ne lui adresse leur question suivante. Il prit un moment pour enregistrer leur propos, avant de finalement encaisser leur ampleur. Il commençait alors à sérieusement s'énerver. De quoi m'accusez-vous au juste ? Je n'ai pas tué Carmen. Je ne me suis pas isolé un seul instant pendant la soirée. Tout le monde pourra en témoigner, je me suis suffisamment donné en spectacle. A coup de chemises ruinées et de discours improvisées, la soirée n'avait pas été de tout repos, loin de la petite apparition discrète prévue. Au moins, il était certain que son alibi ne pourrait qu'être difficilement mis en doute; il avait été ardu de le manquer. Et mes relations avec Carmen étaient purement platoniques. Nous étions amis, rien de plus. Prononcer son nom étaient comme recevoir un nouveau coup à chaque fois. Il voulait juste en finir en rentrer chez lui. A Los Angeles, de préférence, il avait eu sa dose de Belmont Springs.

Citation :

Bon sang Leo, qu'as-tu encore fait ? Tu ruines ta chemise et en plus tu t'amuses à raconter n'importe quoi ! Carmen s'empresse de frotter la fameuse chemise avec une serviette mais c'est peine perdue, la tâche est déjà sèche. Au moins, il ne sent plus comme un ivrogne. Ce n'est rien, je m'en vais de toutes façons. Il attrape son poignet et la repousse doucement, alors qu'il cherche sa fiancée du regard. Il aurait sans doute beaucoup d'explications à donner. C'est alors que son attention est attirée par Henry, à nouveau. Il voit alors Cat se frotter à lui de façon pour le moins suggestive. Il est bien trop loin pour pouvoir entendre leur conversation, mais il peut sans mal deviner sa nature. Cat s'en va, couvée par le regard d'Henry qui se pose sur son postérieur. Soudainement pris d'une colère sans nom, il retient Carmen.  Attends, j'ai un service à te demander. Henry semble particulièrement impatient, il se doute que son vieil ami ne tarderait pas à la suivre, il a assisté à ce spectacle trop souvent pour ne pas le remarquer. Suis-le. Et ne dis rien de ce tu pourrais apprendre à quiconque avant de m'en parler , dit-il avec un calme mesuré qui cache la rage qui bouillonne à l'intérieur.

Je ne suis pas sûr. J'ai bu. Tout ce qui s'est passé avant sa mort reste très flou. Il aurait lancer les enquêteurs sur la trace d'Henry sans le moindre remord. Mais l'inculper risquer de nuire fortement à Cat également, et il ne pouvait risquer rien de tel, malgré son ressentiment envers elle. Il se tint donc de révéler qu'il avait effectivement vue Carmen et qu'en plus il l'avait envoyée en mission.

Qui aurait pu en vouloir à Carmen ? Au point de la tuer ? Aucun nom de lui vint à l'esprit. Ce qui lui semblait encore plus suspect, c'est le choix du moment ainsi que celui de la location : en plein milieu d'une soirée, alors que le gratin de la ville était réuni chez les Whitelaw. La réponse lui paraissait alors évidente. Il émit toutefois des restrictions quant à faire part de ses suspicions, il se mettrait alors en ligne de mire. Après quelques instant de réflexions, il décida de dire ce qui le troublait. Il ne l'avait pas tuée, après tout. Je ne sais pas qui aurait pu lui en vouloir. Mais, je pense personnellement  que ce n'est pas parmi les ennemis de Carmen que vous trouverez vos réponses mais parmi ceux des Whitelaw. Qui pourrait en vouloir aux Whitelaw ? La liste est longue et mon père est sans doute le mieux placé pour répondre à cette question.