Daisy (-) and i'm feeling good

( we kings of cosmopolitan love and nihilistic suffering )



Pour beaucoup de personnes, choisir une orientation est un vrai casse-tête. Surtout à dix-huit ans quand on ne sait encore rien de la vie. Quand on sort à peine de l’adolescence. Encore moins ce qu’on voudra faire du reste de sa vie.  La solution de la faculté est souvent la plus évidente. On peut s’y tromper, se rediriger, trouver des passerelles pour  changer de voie. On a le temps entre ces murs. Je n’ai pas eu besoin de cela. J’ai toujours su ce que je voulais faire : aider les autres. Petite, j’aimais ramener à la maison les oiseaux que le chat du voisin poursuivait, espérant que maman pourrait les soigner d’un bisou comme elle le faisait si bien avec mes bobos. En grandissant, j’aidais Charles à inventer des nouveaux personnages plus ou moins farfelus pour les livres qu’il rêvait d’écrire. A l’école, j’aimais aider les autres avec leurs devoirs, leur faire comprendre de façon simple ce qui me paraissait évident. Mais aider les autres n’est pas un vrai métier, juste une direction à vivre. C’est vers seize ans que j’ai trouvé le métier parfait pour moi, celui qui pourrait conjuguer tout ce que je pouvais avoir envie de faire de ma vie. Il a fallu pour cela un bête accident, une chute pendant un week-end entre filles, un passage aux urgences pour suspicion de fracture de cheville. Et au milieu du stress ambiant, des médecins qui passaient en coup de vent, des transferts à droit ou à gauche pour faire divers examens, il y avait une personne qui m’a suivie de A à Z. Qui a créé mon dossier, qui a su m’apaiser, soulager ma douleur et faire disparaitre mes craintes. C’était Delia, une simple infirmière. Je suis revenue le lendemain, mes béquilles sous les bras, après avoir négocié le trajet aller-retour avec Charles pour ne pas avoir à prendre le bus, rien que pour la voir et lui poser une foule de questions sur son métier. Et je dus me rendre à l’évidence : Delia, c’était moi à trente ans. Devenir infirmière me permettrait de m’épanouir, de grandir, de devenir une personne dont je pourrais être fière.  


Pour beaucoup de femmes, le jour le plus heureux de leur vie correspond à celui de la naissance de leur premier enfant. Elles ont idéalisé ce petit bout d’elles-mêmes pendant neuf mois, l’ont vu grandir lors des échographies des visites de suivi, l’ont senti bouger de plus en plus clairement au fond d’elle. Et puis le jour arrivait où enfin elles pouvaient le rencontrer. Je vois tous les jours le sourire qui ornent leur visage lorsque le médecin leur pose ce bébé tant attendu sur elles là où je travaille, et je suis forcément attendrie par toute cette avalanche d’amour qu’elles éprouvent pour ce petit être dès les premières secondes. En fait, je ne peux que les comprendre. Je suis aussi passée par là. J’ai moi aussi donné la vie à une adorable petite fille. Mais je n’en suis pas vraiment la mère, j’en suis devenue la tante. Compliqué me direz-vous ? Certainement. Mais vous serez encore plus perdus quand je vous expliquerais que je suis mariée à un homme que je n’aime pas, mais qui est mon meilleur ami depuis aussi loin que je me souvienne, que nous nous sommes promis des années auparavant que nous allions nous marier plus grands, juste parce que mon ainé avait dit que personne ne pouvait aimer quelqu’un pour toujours, et que mon mari était en couple avec un autre, un homme, ce même frère qui ne croyait pas  à l’amour plus jeune. Parce que je voyais l’amour grandir dans leurs yeux, parce que je sentais la frustration de Charles de ne pouvoir devenir père, j’ai décidé de leur faire un cadeau. Je leur ai proposé de porter leur enfant. Rien de plus simple avec ce que la science était capable de faire de nos jours. Je tombais enceinte du premier coup alors que les chances avec une insémination n’étaient pas toujours de bonne augure. J’ai partagé chaque examen médical et chaque échographie avec Dante et Charles, et je voyais leur joie à chaque fois qu’ils voyaient la petite grandir au fil des échographies, je rirais de leur étonnement quand ils sentaient les coups de leur enfant à travers mon ventre, et je ne pus retenir des larmes de joie quand ils m’ont fait la surprise de prénommer ma nièce, leur fille, de mon second prénom, comme un hommage, un merveilleux cadeau. Oui, donner la vie a été un moment merveilleux. Et depuis deux ans, je ne regrette pas ma décision. Le sourire de Clarice est irremplaçable.