jerri ; égarée dans la vallée infernale

- nom complet : Jerean Beatrice Hössli - âge, date et lieu de naissance : 19 ans, née à Omaha (Nebraska) un 9 août - origines et nationalité : nationalité américaine, lointaines origines allemandes et suisses - occupation, situation financière : si Jerri devrait actuellement être à l’université, gaspiller tout l’argent de papa, bosser pour quelques dollars de l’heure ou être adepte de l’économie souterraine, elle ne fait rien de tout ça. là, tout de suite, Jerri marche, fait du stop, fait semblant de fuguer comme la petite adolescente attardée qu’elle est et compte les grains de sable sur la plage en maudissant la terre entière. on pourrait presque la qualifier de vagabonde si elle n’avait pas comme point d’attache une villa ostensiblement luxueuse et vivait aux crochets de son beau-père (avec dédain, bien sûr) - statut civil : célibataire, merci bien - orientation sexuelle : hétérosexuelle, par réflexe ? - traits de caractère : parce que Jerri est encore en phase post-crise d’adolescence, on se frotte facilement à son caractère de chien, ses bouderies pour un oui ou pour un non, son air buté lorsqu’elle réplique avec une ironie mordante ou avec un silence glacé, sa susceptibilité à fleur de peau et ses changements d’humeur constants. Sa mère et son beau-père vous diront qu’elle a au moins l’avantage de ne pas piquer des crises de colère ou de créer des scandales qui ameuteraient tout le quartier et c’est vrai, pour l’instant du moins. Eux se trouvent chanceux quand elle préfère la fuite à la confrontation, les railleries au sérieux de la vie. "Sauvageonne", lui répète sa mère derrière ses lunettes de soleil. Mais au-delà de ses hormones détraquées et de sa haine des palmiers, Jerri c’est aussi un besoin de liberté absolue, une soif de rencontres, une curiosité maladive qui tend vers l’espionnage et une collection d’histoires tout à fait insolites. Jerri voudrait être écrivain et il faut avouer qu’elle est plutôt bien partie : elle en a déjà toutes les névroses. - quartier de résidence : Emerald Pier  - groupe : Loner Wolf ? Underdog ?

my silver spoon has fed me good
✎ Avec ses cheveux blonds comme les blés, presque blancs, qu’on croit colorés en salon à coup sûr, ses petites dents blanches et bien alignées, sa taille toute fine et son air de lutin sage, on pense Jerri serviable, le cliché même de la petite californienne pourrie gâtée qui ferait la moue sur Instagram et qui se cultive aux séries télé. En toute franchise, Jerri adore jouer de ce cliché pour mieux le faire exploser en plein vol. Si Beau-Papa veut l’emmener à une soirée-pour-riches-seulement et la présenter à des visages figés par le botox, soit, elle jouera les bonniches pendant quelques heures ; mais ne comptez pas sur elle pour jouer sa partition à la perfection, c’est bien plus drôle de jouer à la poupée écervelée et dysfonctionnelle. ✎ Son beau-père est analyste principal en actuariat pour Berkshire Hathaway dans les bureaux de Los Angeles  – et si ce nom est encore inconnu pour vous, premièrement, réveillez-vous, deuxièmement, c’est un groupe qui ne compte pas moins que Warren Buffett à sa tête pour vous donner une vague idée. Riche, plus que riche, débordant de dollars par tous les trous grâce à ses statistiques, ses théories de matheux et ses estimations du risque auxquelles personne ne comprend rien, son beau-père croit fermement que tout peut s’acheter, y compris la bonne humeur de sa belle-fille, parce qu’après tout une fillette en crise ne peut pas être plus capricieuse qu’un marché financier (malheureusement, si). ✎ Jerri traîne à pied, à vélo, à rollers ou monte dans les voitures qui ont bien voulu s’arrêter devant son pouce levé. Beau-Papa a voulu lui offrir une voiture, embarrassé de la voir se conduire en pauvre paysanne du Nebraska, mais elle lui a dit non en reniflant d’un air dédaigneux. Si elle avait une voiture elle irait nulle part beaucoup plus vite, et alors que ferait-elle de ses journées ? Elle aime ses compagnons de route tombés là par hasard et ne les échangerait pour rien au monde.

we kings of cosmopolitan love and nihilistic suffering

 – Chérie, ne prends pas peur, ouvre grand les yeux et… regarde ce qu’Oliver t’a acheté aujourd’hui ! Christina Hössli, dans un des derniers mois où elle portera encore ce nom, arrive à peine à cacher son excitation alors qu’elle secoue son cintre sous le nez de sa fille unique. – C’est une… robe de mariée ? ironise Jerri pour la forme, pas d’humeur, attablée devant une connerie de dissertation d’histoire. La robe blanche est sublime, cintrée à la taille, bouffante sur les hanches, dotée de petites bretelles scintillantes qui mettent en valeur un décolleté brodé en dentelle. Sublime peut-être, mais certainement pas pour elle. – Voyons, voyons, non, c’est pour le bal de promo. Tu y vas toujours, n’est-ce pas ? Sa mère a perdu tout sens de l’humour depuis qu’elle s’est amourachée de ce type. – Non. Soupir. Tina lève les yeux au ciel et s’assoit à ses côtés, prête à rendre les armes, signer la trêve et probablement aussi à lui faire bouffer cette robe si elle continue sur cette lancée. – Pourquoi, ton cavalier t’a enfin larguée pour une fille un peu plus sarcastique ? – Wah, touché ! En vérité, je n’ai jamais dit que j’y allais. Explicitement. Tu m’as demandé si je comptais faire une apparition au bal de promo, j’ai répondu « mmh » et tu en as déduis que c’était un oui. – Ce n’était pas un oui ? – C’était un « mmh », donc par définition indécis. – Et quand est-ce que ce « mmh » indécis s’est transformé en non ? – Il y a environ une minute. Les yeux de Tina font plusieurs allers-retours entre la robe et Jerri, Jerri et la robe, et sa fille espère pendant une microseconde que leur capacité à se comprendre en un clin d’œil vient de se rétablir miraculeusement. – Quoi, ne me dis pas que tu la trouves laide ? Ou qu’il y a des nouveaux codes au lycée interdisant de mettre du blanc au bal de fin d’année ? Fail. Tina ne peut pas lire dans ses pensées. Jerri voudrait lui expliquer calmement, lui démontrer par a + b comment et pourquoi cette robe retournera directement dans son magasin d’origine et ne touchera jamais un centimètre carré de sa peau mais ses pensées s’emmêlent, elle n’a pas envie de rentrer dans ce débat, de voir sa mère la pousser dans une impasse et la bombarder d’arguments tous plus valides les uns que les autres, elle est en tort, elle est de mauvaise foi, elle le sait, alors il n’y a qu’une seule phrase qui fuse avant qu’elle ne se lève : – S’il pense qu’il peut m’acheter avec une robe, il rêve. Avant de claquer la porte, pleine d’une fierté intouchable.

Si Jerri a détesté d’emblée celui qui deviendrait bientôt officiellement Beau-Papa, Olliver Creigh, ce n’est pas parce qu’il était l’exact opposé de son vrai père, un New-Yorkais aux origines douteuses qui les avaient laissées en plan lorsque Jerri avait cinq ans. Non, si la bouffée de mépris qu’elle a éprouvé pour Olliver au premier regard n’a jamais réussi à se dissiper, c’est bien parce qu’il était exactement comme son lâche de père. C’était le même type qui amadouait ses secrétaires avec ses regards doux, sa carrure de playboy et ses billets qu’il lançait partout comme des confettis ; le même boss qui commençait sa journée trop tôt, la terminait trop tard et comblait tous les vides par des mains baladeuses ; le même papa en carton qui multipliait les cadeaux d’anniversaire pour se persuader qu’il était présent et que ses méthodes d’éducation étaient infaillibles.




C’est la dernière scène avant que le rideau ne tombe sur l’enfance au Nebraska, la dernière nuit, le dernier grain de poussière invisible qu’elle ôte de sa chemise après avoir passé la journée dans les cartons. Les yeux scintillants, les jambes étendues sur le rebord de la fontaine, Jerri savoure ce qui lui paraît être l’éternité devant elle. A ses côtés, Joe fume d’une main un peu plus nerveuse que d’habitude, le regard perdu dans la skyline d’Omaha. Dernier coucher de soleil, dernier rituel avant qu’il n’aille rejoindre le groupe qui les attend là-bas, plus loin sur l’herbe sèche. Dernière fois que le silence parlera pour eux. – Jerri, écoute… Il n’a pas le temps d’aller plus loin. – Non. – Quoi non ? – Je sais déjà ce que tu veux me dire. Que je vais te manquer malgré tout, qu’il faut qu’on garde le contact, que tu m’aimais bien, que tu m’aimais vraiment bien comme fille… J’me trompe ? Joe reste bouche bée. Il est habitué à son culot mais qu’elle lui mette ses sentiments à lui sous le nez, cash, alors qu’ils s’étaient faits cette promesse tacite de ne jamais en parler à voix haute et sobres… Elle triche, merde, et en plus elle triche en le faisant passer pour un con. Il s’apprête à répliquer, à balancer qu’il est loin d’être tout seul dans l’histoire mais elle se relève sur ses deux coudes, le regarde droit dans les yeux et ne lui laisse pas le temps d’ouvrir la bouche. – Laisse-moi t’épargner ça, parce que ça n’arrivera jamais, c’est fini. Sauf si tu débarques en Californie, que je reviens ici ou bien qu’on se retrouve par hasard à Calcutta, ce dont je doute fortement, on ne va plus jamais se revoir. Tu penses que tu vas survivre ? – Je pense que je vais survivre, merci. Jerri a les yeux qui brillent. Si on était dans un film ou bien dans ces livres qui s’empilent par dizaines sur les étagères de sa chambre, Jerri choisirait ce moment pour se redresser entièrement, attraper Joe par le menton et lui planter un baiser dont il se souviendrait toute sa vie. Sauf qu’elle n’a pas envie de briser cet instant, cette relation, et surtout Joe qu’elle va abandonner dès le lendemain dans une ville hantée par les souvenirs qu’ils y ont laissés. Peut-être simplement qu’elle n’ose pas, qui sait ? – Moi aussi, je t’aimais vraiment bien comme mec, qu’elle lui dit, avant de partir à reculons et de lui décocher un dernier sourire mutin dans le noir.

Joe tire sur sa cigarette – qui n’a de cigarette que la forme – et a un vague geste de la main pour la queue de cheval bondissante qui a déjà disparue. N’arrive pas à croire qu’elle le plante au début des vacances alors qu’ils viennent tout juste de terminer le lycée, que lui a été accepté à l’université locale et qu’elle n’a même pas pris la peine de poser une seule candidature. « Je veux aller à l’école de la vie », disait-elle en se foutant à moitié de sa gueule, poser tout ce bordel en phrases bien faites, vendre des livres, vendre du rêve… Joe finira son joint bien après qu’elle soit partie et lui léguera même sans le savoir cette mauvaise habitude : fumer pour rattraper les souvenirs, à la nuit tombée.