the thrill of the chase. (nicole)

lost track of time and space
she's a silver lining

L’ambiance est électrique, la musique bat son plein et les fêtards sont tous en mouvement. Large sourire aux lèvres, Antonio suit ses potes parmi la foule, prenant le temps de détailler les alentours du regard. C’est pas tous les jours qu’il se retrouve dans les beaux quartiers. Enfin si, mais pour travailler. Pas pour s’amuser. Son pote Eduardo a réussi à les faire entrer il sait pas trop comment, en dépassant toute la file d’attente à l’extérieur – il soupçonne qu’il y ait des trucs louches là-dessous, mais très franchement, il s’en fout et il a pas envie de savoir. La joyeuse troupe se fraie un chemin jusqu’au bar, tous avides de bien commencer la soirée en s’offrant un cocktail. Toni s’accoude au comptoir, rigolant à une blague de son voisin quand il reçoit un coup de coude dans les côtes. « Eh Toni, mate-moi un peu ça. » Arquant un sourcil, il s’exécute, jetant un regard dans la direction indiquée par Eduardo. Et puis, son cœur loupe un battement. Il entend même pas le vague sifflement émis par son ami, trop occupé à détailler de haut en bas la silhouette qu’il connaît trop bien. Nicole. Il devrait pas être surpris qu’elle soit là pourtant – après tout il se trouve sur son terrain à elle, celui des vautours. Mais il l’a jamais croisée en dehors de la propriété Carrillo. Chaque fois qu’ils se voient, il est couvert de terre et de sueur, et elle a – presque – tous les pouvoirs sur lui. Aujourd’hui, c’est une chance de pouvoir retourner la situation. Plutôt bien sapé avec sa chemise entrouverte, clairement plus propre que lorsqu’il s’occupe des jardins, il est bien loin du Toni qu’elle a l’habitude de côtoyer. Ce qu’il veut savoir, c’est si elle est différente quand elle est dans ce genre d’endroit. Dans son élément, telle la reine des abeilles. « Bah alors, tu baves ou quoi ? » La voix d’Eduardo le sort de ses pensées, et il met une seconde de trop à réagir en lui donnant un petit coup de poing dans le bras. « Cállate, j’la connais. » L’air suspicieux de son pote prouve qu’il ne le croit pas vraiment. En même temps, Antonio le blâme pas – lui non plus il l’aurait pas cru, à sa place. Ils ont pas tellement le loisir de côtoyer les riches, en temps normal. « J’bosse chez elle. » Tout doute semble s’évaporer, et Eduardo se penche vers lui avec un air conspirateur. « Et t’arrives à bosser avec cette bella dans les parages ? » Il est tenté de répondre que non, mais il préfère lever les yeux au ciel en ricanant. Puis il se dégage de l’emprise d’Eduardo, commençant à s’éloigner. « À ta place, j’irai lui dire bonjour. » « Et tu crois que j’vais où là, cabrón ? » Son pote rigole, et Toni se dirige d’un pas assuré vers la demoiselle. Son regard ne la quitte pas – elle reste bloquée dans son viseur. Il imagine qu’elle ne doit pas être ici toute seule, mais il s’en contrefout. C’est pas ça qui va l’empêcher d’ajouter du piment à la soirée de la belle – et qui de mieux pour ça qu’un Flores ? Ils sont experts en la matière, c’est de famille, de relever l’atmosphère d’un moment trop fade. Quand il arrive à sa hauteur, il se cale à côté d’elle d’un air nonchalant. Elle se tourne, leurs regards se croisent et y’a quelque chose d’incandescent dans ce simple contact visuel. Comme toujours, entre eux. Lentement, ses lèvres s’étirent dans un petit sourire en coin alors qu’il se penche légèrement vers elle, histoire de pouvoir parler sans avoir à trop hausser la voix – la faute au volume de la musique et au tumulte provoqué par les gens. « Alors comme ça, la princesse s’accorde du bon temps ? »

Un coup d'oeil, et le résultat lui convient. Elle descend les escaliers lentement, perchée sur ses hauts talons vertigineux, une main posée sur la rambarde. Rosie esquisse un regard, installée dans le canapé, et siffle doucement entre ses lèvres. Que bella hermana. La brune lui sourit, déposant un rapide baiser sur son front avant de s'éloigner. Hasta mañana mi dulce. Dans la vaste pièce qui fait office d'entrée, elle prend le sac et le manteau que lui tend Benzo, son homme de main. Les bras écartés, elle s'offre à son regard, le regard interrogateur. Il esquisse un vague sourire en prononçant un rapide perfecto, mais elle sait qu'il n'a pas quitté son visage, que son regard n'a pas osé s'aventurer plus bas. Elle pose doucement sa main sur son bras, nul besoin de mot ou d'expension de sentiment. Il avait compris. La limousine noire lustrée l'attend, le moteur ronronnant comme un chat, un majordome prêt à lui ouvrir la porte à son approche. La nuit est belle, la nuit est tiède. Que la fête commence.

Le Monte Cristo, elle ne connaît que trop bien. Les Carrillo ont d'ailleurs été l'investisseur le plus actif lorsqu'il a fallu réaménager l'intérieur. Moyennant une coquette somme à sept chiffres, Nicole s'est offert une place de choix, de reine, contemplant son royaume avec un regard aiguisé. Les lieux, elle ne les connaît que trop bien, tout comme les gens qui les cotoient. Elle ne prête nulle attention au barman qui s'active à son approche, à la musique qui chante de tempo à son entrée sur la piste. Elle se complait à être crainte, à n'inspirer qu'intimidation et angoisse. Les sourires qu'on lui adresse sonnent faux, rien que des lèches-cul qui tentent de s'attirer ses bonnes grâces. Ils peuvent toujours attendre. Elle s'est entourée d'un petit groupe de bourgeois, plus pour l'image que pour l'affection qu'elle a pour cette bande d'hypocrites. Et surtout pour ce jeune imbécile qui va finir six pieds sous terre s'il continue à la coller comme une abeille sur du miel. Mais son monde n'est que cela: images et faux semblant. Elle sait pertinemment qu'elle est surveillée, que le moindre de ses faits et gestes est épié. Qu'ils fassent donc. Ce soir, Nicole ne se pose aucune limite. Vamos a la fiesta. Elle danse, se fond dans le tempo, évacuant peines et contrariétés. En parlant de contrariété? Au détour d'un regard, d'une inspiration, le souffle lui manque. Toni. Elle s'était préparée à tout, sauf à ça. Sauf à lui. Alors comme ça, la princesse s’accorde du bon temps? C'est avec toi qu'elle aimerait passer du bon temps. Chemise entrouverte, tenue soignée, sourire ravageur. Comment arrivait-elle à ne pas le dévorer sur le champs? Tu sais que j'ai failli ne pas te reconnaître sans terre? Ca doit être la première fois que je te vois... Propre? Elle ne se prive pas pour le juger, le jauger – l'admirer – sans gêne aucune. Et elle les ressent, ces frissons dans le creux de ses reins. Elle le subit, cet effet qu'il a sur elle, et ce soir bien plus encore. Elle subit l'électricité qui les unit, la tension de leurs deux corps. Elle sait que tu la provoques. Elle porte la paille de son verre à ses lèvres, sans jamais briser ce contact visuel. Pénétrant, provocante. Tu veux jouer Flores? Que le meilleur gagne. Elle repose son verre sur la table à côté, le frôle en reprenant sa place initiale. Elle est sur son terrain, la Carrillo, et elle compte bien mener la danse. Tu les as piqué à qui, ces fringues d'avant guerre? Mais tu ressembles presque à un homme, avec. Elle tire doucement sur le pan de la chemise. Le coin de ses lèvres s'étire, elle penche légèrement sa tête sur le côté. Nicole qui minaude? Et t'as encore rien vu.

Comme à son habitude, elle lui répond du tac-au-tac, avec une répartie sans égale. Et comme à son habitude, Toni se surprend à aimer ça. Peut-être même un peu trop à son goût. « Tu sais que j’ai failli ne pas te reconnaître sans terre ? Ça doit être la première fois que je te vois... Propre ? » C’est vrai. Et il trouve ça plutôt drôle, en fait. « La première mais certainement pas la dernière. » Qu’elle interprète ça comme elle veut. De son côté, il se jure mentalement de tenir sa promesse tacite : il compte bien trouver d’autres occasions de la voir en dehors de son boulot de jardinier. Elle le fixe, et il a l’impression de sentir le poids de son regard sur lui. Elle se prive pas de l’évaluer de la tête aux pieds, sans la moindre gêne – ça fait comme un courant électrique qui traverse l’échine d’Antonio, mais il dit rien, il la laisse faire en détaillant son visage. Elle s’amuse à le provoquer. Par ses prunelles, l’angle de sa bouche et la façon dont elle sirote tranquillement sa boisson. Elle le cherche, elle le teste, et il a la ferme intention d’en faire de même. « Tu les as piqué à qui, ces fringues d’avant-guerre ? Mais tu ressembles presque à un homme, avec. » Un léger ricanement lui échappe alors qu’elle se permet de toucher un coin de sa chemise. S’il osait, il en redemanderait. « Vu la façon dont tu les regardes, tu les aimes bien, mes fringues d’avant-guerre. Essaie pas d’me mentir. » Son regard est équivoque, il veut dire j’ai vu ta façon de me jauger. « Et sur tes hauts talons, tu ressembles presque à une fille comme les autres. Mais tu peux pas m’duper, princesse. » C’est plus fort que lui. Toni, il peut pas s’empêcher de l’appeler princesse à tout bout de champ. C’est pas sa faute, si elle en a l’environnement. C’est pas sa faute, si elle est digne de ce titre. C’est pas sa faute, si chaque fois qu’elle entre dans son champ de vision, il la fixe comme si elle était réellement une princesse. Il y peut rien. Ses yeux parlent pour lui. « Mais dis-moi, j’suis presque étonné de te voir sans une magnifique basse-cour pour te tenir compagnie. » Sourire railleur au coin des lèvres, il fait mine d’observer les alentours d’un air faussement intrigué. « À moins que ce soit ces cabrones qui nous jettent des coups d’œil absolument pas discrets ? » D’un geste du menton, il désigne le petit groupe en question. Ça le fait assez marrer de voir les quelques regards qui se posent sur eux, sûrement parce qu’il est pas un visage connu et que les gens se demandent d’où il peut bien sortir pour oser venir aborder la reine de la sorte. Tant mieux. Ça lui donne matière à jouer un peu de la situation, et c’est exactement ce qu’il veut faire. Elle est sur son terrain de prédilection, c’est donc elle qui tient les rênes, en théorie. Ça empêche pas Toni de vouloir la désarçonner autant que possible, rien que pour la voir être déstabilisée, rien que pour torturer leurs nerfs à tous les deux. Alors il s’approche un peu plus d’elle, plus qu’il ne l’a jamais fait. Ses phalanges viennent à peine frôler l’épiderme du bras de Nicole, avec la légèreté d’une plume, tandis qu’il se penche pour venir parler au creux de son oreille. « Ton royaume a l’air affreusement curieux. Ça m’donnerait presque envie de leur donner de quoi parler, pour de vrai. » Et puis il se recule doucement, ses doigts glissant le long du bras de la demoiselle jusqu’à son poignet avant de la quitter, ses prunelles sombres se plongeant dans les émeraudes qui leur font face. Il une lueur malicieuse dans le regard, un air de défi à la commissure de ses lèvres. Le jeu est dangereux. C’est ce qu’il préfère.