OVERZEALOUS.

Eden a treize ans et toute la colère d'un petit monde à porter sur de trop frêles épaules. Le front perlé de sueur, les sourcils froncés vers des yeux qui ont envie de pleurer. Pleurer, car l'indéniable vérité lui fait face : on vient de l'insulter. Pas ouvertement, non. Cela aurait, de toute manière, été bien trop facile de se défaire d'une telle humiliation. Non, on regarde ses genoux ridicules et on relève les yeux vers les siens, comme pour le prendre en pitié. Seulement comme si, car les enfants, monstruosités apathiques, n'ont pas cette capacité-là. Un autre gamin, cheveux roux et double menton proéminent, sourit en coin et fait la moue. Le vestiaire pour garçons semble rétrécir au fils des minutes, et il devient le centre d'attention avant même de pouvoir y remédier. Ils ne se changent plus, ne discutent plus. Il n'y a que cet agrégat d'atomes pensant qui le défie de son air malicieux. Un silence particulier. Comme pour dire "prouve moi que tu ne vaux pas rien." Alors, Eden se saisit de sa crosse de hockey et lui casse le nez.

☆☆☆

« - Tu vas bien ?
- Oui.
- Non, vraiment.
- Ça va, j'ai dit.
- ... Tes parents viennent de mourir.

(Ça va. Très bien. Qu'est-ce que je dois dire. J'ai seize ans. J'ai pas l'âge de te raconter des pensées philosophiques et de faire preuve de sagesse. J'en ai pas envie. J'ai pas envie qu'on me raconte que ça va aller. Que j'ai pu les connaître avant de les perdre, contrairement à plein d'autres personnes. Non, tout ce que j'ai envie de faire, c'est de penser au fait qu'ils ont été écrasés par un mur de béton. C'est pathétique. C'est ridicule. Ça se passe jamais de façon aussi médiocre, la mort. Ça devrait pas. On a envie de faire preuve de compassion, mais c'est difficile : ils sont mort de façon ignoblement réelle. Un simple accident stupide, ridicule. J'ai envie que le simple fait d'être énervé puisse me sortir d'un cauchemar qui ne fait que commencer. Je ne peux pas me battre, car déjà j'ai perdu. Ce n'était pas un combat de force, de courage. C'est un simple fait : on meurt, on disparait, on laisse derrière soi un fils qui ne sait pas être tout seul.)

- Laisse tomber. »

Vogue, Juillet 2013.

Eden Noble, modèle montant de Californie sud.

Depuis son contrat avec Diesel, la côte de popularité du mannequin est inégalée. En un espace de temps record, il a multiplié les apparitions, et est le grand mystère du système. Comment est-ce qu'un jeune homme sorti de nulle part plaît-il autant à une industrie qui grogne face aux anonymes ? Vogue mise en partie sur son charme étranger.
En effet, le jeune homme originaire d’Angleterre a gardé une intonation exotique qui nous fait rougir de plaisir, à Vogue. Lors de son dernier shooting avec le magazine, il nous a eu au premier échange. Il se montre communicatif, vif d'esprit et n'a pas manqué d'humour. Un véritable amour.
Mais tout n'a pas toujours été rose pour lui, et c'est au cours d'une conversation après la session photo, (dont la vidéo est disponible sur notre site internet) qu'il a évoqué un passé difficile. Les études n'ont pas permis à l'homme de se sentir intégré ni même à l'aise dans son pays natal, et il est parti sur un coup de tête. « M'expatrier, car je n'avais pas grand chose à perdre » commente-t-il, ayant perdu ses parents lors de l'adolescence. Malgré deux premières années de tâtonnement, de recherche, on ne peut pas dire que ce départ fut vain : il a signé son premier contrat en décembre dernier, et sa nouvelle carrière ne fait que débuter. « Je me suis engagé dans le mannequinat car je trouve qu'il y a un aspect intéressant au fait d'être immortalisé. La photographie, c'est être hors du temps et du réel. J'ai pu faire des choses fantaisistes depuis mes débuts, et je suis très reconnaissant pour toutes ces expériences. » Nos yeux le sont aussi, Eden.
La question se pose. Célibataire, le jeune homme ? Car il est à croquer. A la question, il rougit et se contente d'un rire gêné. « Non, je ne suis pas en couple. J'aimerais bien, toutefois. C'est frustrant, car j'ai l'impression de passer mes journées à rencontrer de nouvelles personnes et de nouveaux visages, mais il est difficile de pouvoir nouer des liens car tout va très vite. » Ici à Vogue on pense que c'est juste un question de temps.

☆☆☆

« Pardon, j'ai les mains bien trop moites pour avoir l'air relaxé par la perspective de cette audition. » Il explique avec un sourire gêné à Carol Gallagher, qui s'apprête à lui faire passer un entretien.
La jeune femme était quelque peu impressionnante - mais sa réaction était surtout à associer avec une anxiété naturelle chez le jeune homme. Ou plutôt une forme d'appréhension du monde professionnel. C'est ça. C'était une bonne façon de voir la chose. Carol, elle, avait sans doute une vingtaine d'années de plus que lui, des sourcils qui ne trahissait pas ses émotions les plus contenues et des mains dont la moiteur n'était pas proportionnelle au niveau de stress.
« Je pense que je dois boire un peu trop. » Il se remémore sa quatrième tasse de thé, à neuf heures du matin. Mais avant qu'il n'ait le temps de le réaliser, l'audition se déroule. Ainsi, sans plus d'embarras. Avec la fluidité de conversation à laquelle il excelle, et non sans oublier de mentionner le fait qu'il sait cuisiner italien, avec un sourcil arqué vers les cieux. Parce que c'est important.
« Avez vous d'autres qualités dont vous êtes aussi fier ? » Demande-t-elle, avec un professionnalisme déconcertant.
Il fit mine de s'offusquer, amusé. « Je pensais que c'était assez ! » Il réfléchit un instant. « A vrai dire, je pense juste être un grand enfant auquel on a donné le droit de s'amuser. C'est quelque chose qui manquait, dans mon quotidien précédent. Mais au moins, je peux dire que je peux aussi faire preuve de sérieux quand il le faut. C'est ce qui rend la plupart des choses que je fais plaisantes : je m'amuse et j'y prend plaisir - mais je fais de mon possible pour m'y investir de façon professionnelle. » Pas ingrat, petit garçon de la pauvreté. Pas stupide, homme chanceux qui réalise la nature éphémère des choses. Juste un versatile et éternel adolescent, dont la chair battue n'a jamais été un prétexte pour devenir un monstre d'indifférence.
Et il cuisine. Que demander de plus ? Ils se serrent la main, et il s'apprête à partir lorsque la fille de Carol fait irruption dans la pièce, un paquet à la main. Du moins, c'est l'assomption qu'il fait à partir des apparences - elles se ressemblent, et elle lui apporte à manger. Mais cela pourrait être n'importe qui. Toutefois la femme prend le temps de la présenter, de lui donner son importance. Elle s'appelle Cat et elle a sur le visage la froideur des statues associées à la vivacité des hédonistes. Il hoche la tête, serre sa main à son tour, et est surprit d'entendre qu'elle fait des études de médecine. Impressionnant - mais surtout curieux. Il retient la pick up line qui s'apprête à franchir ses lèvres de toutes ses forces - puis il échoue lamentablement.
« Je crois bien que ce booty me donne de l'arythmie. »
Il se déteste.